Il n’est pas trop tard pour faire du
bon design, c’est Don Norman qui le dit
bon design, c’est Don Norman qui le dit
Au printemps, Don Norman, éminente moitié du binôme Nielsen/Norman, initiateur de l’UX moderne, ancien vice président d’Apple, et directeur du Design Lab de l’Université de Californie, publiait son dernier ouvrage, Design for a Better World: Meaningful, Sustainable, Humanity Centered, aux presses du MIT.
37 ans après la sortie en 1986, de User Centered System Design: New Perspectives on Human-Computer Interaction et 35 ans après la parution de son bestseller, The Design of Everyday Things, Norman décentre son regard, de l’utilisateur à l’humain, de l’humain à l’humanité.
On vous présente les grandes lignes de cet ouvrage de 42 chapitres et de près de 400 pages (avec un regard critique).
Quelle différence entre Humanity centered et Human centered ?
Don Norman explique que le design centré sur l’humanité pousse plus loin les principes du design centré utilisateur, en cela qu’il s’intéresse à l’environnement et au vivant dans sa globalité.
“ Nous devons penser à tous les êtres vivants et à l’environnement.”.
— Don Norman
Selon lui, la conception centrée utilisateur s’appuie sur 4 piliers :
1. Centrer sur la personne : faire de l’humain et de ses contextes, une priorité pour créer des produits/services qui correspondent réellement à leurs besoins ;
2. Comprendre et résoudre les problèmes à la source : les causes sous-jacentes doivent être traitées sous peine de devenir des problèmes récurrents ;
3. Tout est système : penser la conception en interconnexions et interrelations ;
4. Procéder par petites interventions : la conception doit être itérative, faite de petites améliorations et d’ajustements : prototyper, tester, affiner en continu, afin d’être certain que les solutions proposées répondent réellement aux besoins.
La prise de conscience ?
“ Nous vivons dans un monde conçu par l’homme. Les artefacts sont nombreux, de nos maisons à nos vêtements, en passant par nos outils et nos livres. ” — Don Norman
D’après l’auteur, ce livre diffère de ses précédents ouvrages consacrés au design : selon lui, améliorer l’expérience, faciliter l’usabilité et la compréhension ne suffisent pas à changer le monde. Il se pose alors la question d’une conception à impact, qui fasse la différence à l’échelle mondiale. Durabilité, économie circulaire, déchets organiques, l’ouvrage est un plaidoyer pour un mode vie et des pratiques de conception moins “artificiels” et plus durables.
Il précise sa pensée : « Je débute mon livre par ce constat “Presque tout ce que je vois est artificiel, et presque tout ce qui est artificiel a été conçu”. Pourquoi ? Parce que l’acte même de concevoir est une création d’artificialité. La science du design fait souvent partie des “sciences de l’artificiel” ». Une notion développée par le prix Nobel Herb Simon.
Le design systémique à la rescousse
“
“L’une de mes convictions profondes, c’est que les gens sont très doués pour réagir aux catastrophes, mais qu’ils le sont moins pour les prévenir. C’est le problème auquel nous sommes confrontés. » — Don Norman
Une déclaration qui n’est pas sans nous rappeler le postulat de Sylvie Daumal avec qui nous nous entretenions au printemps, selon lequel le design se trouve en amont de bien des activités humaines. De fait, son rôle est primordial pour que les solutions d’aujourd’hui ne soient pas les problèmes de demain pour la planète, et ce avant même la conception d’un produit ou d’un service. Cette démarche nécessite selon Sylvie Daumal, d’appréhender la globalité de l’écosystème dans lequel prend forme un projet, ainsi que tous ses acteurs et parties prenantes humains et non humains, en s’appuyant sur différents outils et méthodologies.
Ainsi, la pensée systémique semble avoir gagné Don Norman, qui affirme :
“ Nous devons prendre conscience que nous faisons partie d’un système complexe, de sorte que ce que nous faisons ici peut avoir un impact sur les personnes à l’autre bout de la planète et avoir un effet à long terme ” — Don Norman
Le rôle du designer
Don Norman souligne la responsabilité des designers dans les problématiques actuelles majeures qui impactent la planète, mais il reconnaît également que cette responsabilité est partagée avec les dirigeants politiques. Bien souvent, les designers sont formés pour générer le maximum de profit dans leur secteur, sans se soucier des conséquences de leur conception. Il affirme ainsi que le design pourrait sauver la planète en choisissant d’être volontairement constructif, en repérant et réparant ses erreurs, plutôt que d’être destructeur à son insu.
Il identifie 3 principes fondamentaux qui doivent guider le design dans cette démarche :
- veiller à ce que le monde soit décrit en termes compréhensibles et significatifs pour les gens ordinaires, en cohérence avec leur mode de vie et leur culture ;
- que les produits ne soient pas destructeurs pour les systèmes écologiques et la planète (même si selon lui, cette dernière nous survivra) ;
- que les projets d’intérêt général ou impliquant des communautés, soient pilotés par les personnes elles-mêmes, qui seraient alors guidées par des designers agissant en tant que facilitateurs, voire mentors.
L’IA
Pour Norman, chaque évolution technologique majeure à un impact métier, et l’IA ne déroge pas à la règle, bien qu’elle en soit à ses balbutiements. Il envisage l’IA générative comme un outil facilitateur, précieux et favorisant le gain de temps sur des activités chronophages ou rébarbatives. Il note cependant que l’usage de l’outil nécessite une certaine maîtrise et du recul par rapport aux résultats générés, afin d’être en mesure de les modifier et de les corriger. Il en envisage l’utilisation comme une collaboration :
“Une personne travaillant à l’aide de cette technologie, est plus performante que l’outil seul ou que la personne seule. À bien des égards, c’est le cas de toutes nos technologies.” — Don Norman
On retient : Incremental Modular Design
Facette du design organisationnel, le design modulaire incrémentiel vise à une meilleure gestion et appréhension des projets d’envergure, en les divisant en plus petits modules indépendants. Chaque module est ainsi développé, amélioré et testé individuellement avant son intégration, dans un objectif initial plus large. Cette approche permet selon Don Norman, de résoudre au cas par cas des problèmes complexes.
“Nous pouvons nous adapter à différentes contraintes sociales et techniques, lorsque nous avons un objectif clair et utilisons plusieurs petits projets divisés en modules autonomes” — Don Norman
Le design modulaire incrémentiel par Don Norman
Les 4 étapes du design modulaire incrémentiel
Les avantages de l’incremental modular design dans une approche systémique :
- Travailler sur des projets plus petits, de durées plus courtes ;
- Analyser les résultats d’un module avant d’investir dans un autre ;
- Apprendre de ses erreurs tout en travaillant vers un objectif plus large ;
- Être flexible et s’adapter lorsque les conditions, les technologies ou les situations changent.
Cette approche est fortement inspirée de la méthode agile en matière de gestion de projets, en permettant d’ajouter un module après l’autre, d’évaluer les performances dès les premières étapes du projet, et ainsi de planifier les étapes suivantes en conséquence.
Un livre pour qui ?
Une fois n’est pas coutume, Don Norman ne s’adresse pas qu’aux designers, il interpelle également les chefs d’entreprises et les dirigeants politiques, qui sont selon lui les premiers acteurs à pouvoir initier un changement profond et durable en matière de d’économie circulaire, de modèle d’entreprise et de politiques publiques à impact positif.
Notre avis
Dans ce dernier ouvrage, Don Norman porte un regard critique sur nos sociétés industrialisées, construites autour de l’artificialité – par opposition à la nature, concept récurrent au fil des pages – des technologies, de la modernité et du capitalisme. Il ne prône pas le retour à l’âge de pierre, loin de là, reconnaissant la manière dont les technologies utilisées lors de la crise Covid, ont pu rendre nos modes de vie et de travail plus flexibles. L’auteur préconise plutôt une conception raisonnée qui est consciente de son impact, grâce à une approche systémique et écologique. Une prise de conscience un peu tardive ? On vous laisse en juger.
Pour parcourir le sommaire de l’ouvrage, c’est ici.
Citations originales
“We must realize we are part of a complex system, so what we do here can impact people all across the world and have a long effect.”
“We live in a world designed by people. Artifacts abound, from our homes and clothes to our tools, our books.”“One of my strong statements is that people are really good at responding to disaster, but they’re not good at preventing it in the first place. That’s the problem we face.”
“We must realize we are part of a complex system, so what we do here can impact people all across the world and have a long effect.”
“A person plus this device is far better than either the device alone or the person alone. In many ways, that’s been true of all of our technology.”