Les 4 dimensions de l’engagement utilisateur

Les 4 dimensions de l’engagement utilisateur 2883 1533 Wedo studios


Les 4 dimensions de l’engagement utilisateur

La question à longtemps été, pour les commanditaires des équipes UX, de pouvoir proposer une expérience d’usage fluide à leurs utilisateurs. C’est-à-dire des parcours UX sans points de frictions, fluides et confortables. En 2007, pour Jakob Nielsen, la solution qui permet d’obtenir des utilisateurs engagés est claire : “ Minimisez les fonctionnalités et recherchez la simplicité à tout prix.” 

Aujourd’hui, cette fluidité Ô combien prisée, pourrait être une impasse qui rendrait l’expérience utilisateur trop lisse, peu mémorable. À l’image d’une savonnette glissante, elle n’offrirait pas de prise à l’engagement utilisateur. Pourtant, les contextes concurrentiels imposent de se différencier constamment, à travers l’UX et la CX.

A l’ère du frictionless, difficile de faire machine arrière : il faut répondre aux besoins d’autonomie, d’immédiateté, d’accessibilité et d’usabilité ; mais cela ne fait pas tout. Les entreprises sont à la recherche d’engagement, pour retenir l’attention des utilisateurs et faciliter la voie royale qui mène au graal de la fidélisation. 

Selon Mckinsey, le constat est sans appel pour les entreprises du B2C : “Les clients engagés sont plus fidèles, ont plus de points de contact avec les marques qu’ils ont choisies et offrent une plus grande valeur tout au long de leur vie.”

Et s’ il s’agissait d’éliminer la mauvaise friction (irritants chronophages) et de semer de la bonne friction, comme de petits cailloux marqueurs d’expérience, tout au long du parcours ?

L’engagement utilisateur, une notion multidimensionnelle

La définition de  l’engagement utilisateur diffère, selon le marketing digital, la CX, la préférence de marque, ou l’UX.

L’engagement relève autant du premier achat sur une plateforme, que de l’inscription à une newsletter, ou d’opter pour un abonnement payant. L’engagement, c’est aussi faire un commentaire client, recommander une marque et y être fidèle dans la durée. D’autres diront qu’il s’agit de déclencher le clic fatidique sur une notification push, qui vient vous distraire sur votre smartphone. L’engagement, c’est en résumé une interaction réussie, qualitative et fréquente avec une marque sur ses différents points de contacts (app, page web, mailing, social media, service client, marketing, communication).

C’est pour cela que nous avons retenu l’approche multidimensionnelle de Jesse James Garrett, présentée lors de sa conférence, Design for engagement en 2014. Le gourou du service design a identifié 4 formes d’engagement utilisateur : 

  1. L’engagement des sens, qui relève de la perception et de la sensorialité ;
  2. L’engagement du coeur, rattaché à l’émotionnel, à l’affectif et à l’empathie ;
  3. L’engagement physique, se manifeste à travers des actions intuitives, ergonomiques, anthropométriques, comme les clics par exemple ;
  4. Et enfin l’engagement de l’esprit, relève lui, de la cognition, du raisonnement requis pour atteindre un objectif.

Les 4 dimensions de l’engagement utilisateur selon Jesse James Garrett

Une vision qui est cohérente avec la construction au fil du temps et dans la durée, d’une “préférence ou un attachement à l’égard de la marque”, selon la définition de l’engagement de Catherine Lejealle et Thierry Delecolle, auteurs de Marketing digital. 

L’engagement s’articule donc autour de plusieurs variables, qui sont autant de leviers pour les UX researchers et les designers. Il se traduit par plusieurs champs d’expertises UX, essentiellement situés sur les domaines de la cognition et de la perception.

Comment mesurer l’engagement ? Si Google Analytics définit l’engagement comme étant le “temps que les utilisateurs actifs passent sur votre page Web ou avec l’écran de votre application au premier plan.”, cet indicateur est réducteur dans une démarche UX. Il serait plus significatif d’y ajouter des metrics complémentaires en combinant l’attractivité globale, la qualité de l’expérience, ainsi que la rétention.

Les 4 dimensions de l’engagement utilisateur

1. L’engagement des sens : la perception

Le pschitt qui accompagne l’ouverture d’un coca, le doux cliquetis du pédalier bien huilé de votre prochain vélo électrique, l’odeur du pain aux abords d’une boulangerie, les échantillons de cosmétiques gratuits, la 1ère séance offerte, le Crousti Porn de KFC… le marketing sensoriel (ou expérientiel) a fait ses preuves pour solliciter nos 5 sens.

Une technique d’engagement qui s’est développée pour pouvoir proposer des expériences sensibles à l’utilisateur et cela ne date pas d’hier. Selon Wided Batat et Isabelle Frochot : Les années 1980 ont vu l’esthétisation du quotidien et son corollaire, l’hédonisme, infiltrer le champ de la consommation dans les études en marketing. Le consommateur devient alors de plus en plus émotionnel dans sa recherche d’expériences sensibles que peut lui procurer l’interaction avec les produits et les services.

Une esthétisation qui est exploitée notamment par les marques de luxe, à travers la théâtralisation de leurs lieux de vente pour susciter l’engagement. Ça marche aussi en ligne, où la vue est le sens le plus sollicité et de fait le moins impressionnable. En 2022 Dolce & Gabbana propose une expérience de défilé immersive, avec sa Metaverse fashion week sur Decentraland.

Main Page Louis Vuitton – une video full page avec son et lumière du  défilé PE 2024 du 20 juin 2023, comme si vous y étiez (Vue, Ouïe).

L’application de relaxation Respire, dont les exercices de cohérence cardiaque s’accompagnent d’une animation pour rythmer la respiration mais aussi de vibrations “organiques” à la sonorité relaxante (Vue, Ouïe, Toucher).

2. L’engagement du coeur : l’émotionnel

Toute expérience qui aura suscité une émotion, en devient mémorable. 93 % des clients ayant ressenti du plaisir lors d’un acte d’achat, renouvelleront l’expérience sans hésiter. Selon Forrester, l’émotion apparaît comme le premier facteur de fidélisation dans 94% des secteurs. Ce sont en effet ces émotions qui contribuent à construire l’attachement à une marque. Pour Kevin Roberts, CEO worldwide de Saatchi & Saatchi il s’agirait même “d’intimité” entre la marque et son client : “chaque consommateur est capable de raconter une histoire personnelle liée à la marque.” 

Comment ? L’hyper personnalisation et la gamification sont des leviers qui font leur preuve. 

L’hyper personnalisation mènerait même à “l’hyperfidélité”. Elle repose en grande partie sur la collecte et l’analyse de différentes données personnelles, grâce au data fabric – ce mode de gestion, d’accès, d’analyse, d’intégration et de modélisation automatisée des données. Ces données sont ensuite analysées  en continu et l’IA peut permettre d’anticiper les besoins de l’utilisateur de manière contextuelle et prédictive. Selon l’étude riche d’enseignements de Deloitte, l’hyper personnalisation permet aux entreprises d’envoyer des messages et des communications hautement contextualisées à des clients spécifiques, au bon endroit et au bon moment, par le bon canal. La narration, soutenue par l’UX Writing, permet de ciseler et de créer un dialogue personnalisé avec l’utilisateur tout au long de son parcours.

La gamification, elle, peut intervenir à travers :  

  • le challenge et la récompense (récompenses aléatoires, collecte de bonus ou d’avantages) ;
  • la barre de progression (génératrice d’émotion positive à l’atteinte d’objectifs préalablement identifiés) ;
  • la valorisation sociale à travers la communauté (collaboratif, statuts, parrainages, partages) ;
  • la collection, par l’accumulation de gains et d’avantages sous différentes formes ;
  • le Fomo (biais de rareté) ; 

Starbucks en est un exemple plutôt exhaustif : le prénom sur le gobelet (intimité), les boissons sur-mesure (hyper personnalisation) et la collecte de bonus et offres en temps réel sur l’application (gamification). L’entreprise s’appuie pour ce faire sur des données contextuelles (géospatiales, démographiques,  de trafic), mais aussi et surtout sur les préférences et l’activité client, ainsi que sur ses achats antérieurs.

App Starbucks : intimité, personnalisation, gamification.

Courbe de maturité de la personnalisation selon Deloitte.

Les Gamifi’cartes de l’agence de gamification Fidbak.

3. L’engagement physique : l’action

L’action, ce sont les fameux CTA – call to action, et autres “faire cliquer”. Engager l’utilisateur sur une  action, telle que mettre dans le panier, “payer maintenant”, “télécharger”, ou encore “donner son avis”, nécessite un parcours pensé pour le diriger vers l’action attendue. Cela implique de l’ergonomie et de l’UI, pour une prise en main facile.

L’avis utilisateur : pas si facile d’engager ! Le commentaire client est non seulement un moyen d’expression, mais aussi un vecteur de relation avec la marque. C’est une manne de données quali pour améliorer l’expérience. Encore faut-il réussir à  inciter l’utilisateur à prendre de son temps pour rédiger un texte, s’identifier ou accepter d’être redirigé vers une plateforme pour ce faire.

Cet été, l’enseigne Picard propose de “donner librement son avis” grâce à un enregistrement vocal. La fonctionnalité ne fait pas intervenir de page de connexion et l’accès est fluidifié directement vers l’enregistrement. La promesse faite est celle de la facilité et du gain de temps. A noter : la présence d’une barre de progression et d’un UX writing incitatif proposant une forme de libre dialogue entre la marque et ses clients.

Mais… si la pratique du vocal s’est généralisée pour des échanges entre proches (sms, Whatsapp, Instagram), l’utilisateur est-il prêt à “donner sa voix”, à l’heure des deepfakes ? Quelle utilisation sera faite de cette donnée personnelle ? Pour déclencher le passage à l’acte, la confiance en la marque peut s’avérer décisive. Ici, Picard est parfaitement identifiable en tant que marque préférée intervenant dans le quotidien des français.

4. L’engagement de l’esprit : la cognition

La cognition est définie comme étant le “processus d’acquisition de la connaissance”, par opposition aux domaines de l’affectivité.  Pour l’utilisateur, cela pourrait être le raisonnement requis pour atteindre un objectif sur une page ou une application. 

  • L’onboarding, engager pour la 1ère fois : ça passe ou ça casse. La cognition est souvent sollicitée au moment de l’onboarding, lorsque l’utilisateur doit s’approprier une interface pour la 1ère fois. L’enjeu de faire de cette étape essentielle, un élément de conviction auprès de l’utilisateur. Le N/N Group délivre quelques recos pour réussir l’onboarding sur les applications mobiles.
  • Le paradoxe de l’utilisateur actif : les utilisateurs ont tendance à vouloir utiliser le produit immédiatement, sans passer du temps à étudier comment l’utiliser, même si ce travail de préparation peut être bénéfique à long terme. C’est le paradoxe de l’utilisateur actif. L’utilisateur veut apprendre, oui, mais à l’usage. Il faut le plonger directement dans l’interface pour l’engager.
  • Un contenu pédagogique bref : exit donc, les didacticiels longuets et les push intrusifs afin de ne pas encombrer la « mémoire de travail » de l’utilisateur et faciliter sa mémorisation. Il faut minimiser la charge cognitive afin d’anticiper lassitude, ennui et fatigue, un trio qui peut-être fatal à la rétention et à l’engagement. Les conseils et informations fournis à l’utilisateur, doivent donc intervenir au moment où il en a besoin, être facilement accessibles et disparaître de l’écran, à son initiative.
  • Le step by step : si votre application est complexe, proposer des entraînements interactifs, qui permettent d’apprendre par la pratique dans un environnement à faible enjeu. Mettez en avant les fonctionnalités inconnues et nouvelles à travers des superpositions pédagogiques agréables à voir.
  • La personnalisation : lorsque vous invitez les utilisateurs à personnaliser leur expérience, il faut leur expliquer pourquoi vous voulez ces données et comment elles seront utilisées. Si vous ne pouvez pas expliquer la finalité bénéfique de cette collecte de ces données au  moment du lancement, ces informations doivent être collectées plus tard. L’hyper personnalisation doit être alignée avec les données personnelles communiquées en amont. 

Cette approche “care-of-one”, individualisée, devrait être selon McKinsey, un objectif prioritaire des organisations pour 2025. Le « care-of-one va s’étendre au service client, par l’identification des besoins individuels réels et potentiels, et l’utilisation de la data, au service de la nature prédictive de l’engagement utilisateur.

Le processus de familiarisation des utilisateurs avec une nouvelle interface selon le N/N Group

Selon le N/N Group, l’engagement initial proposé, n’a pas besoin d’être important et relève souvent d’une petite décision. Il doit alors répondre à 2 critères : 

  • un engagement à faibles enjeux ;
  • un engagement facile à réaliser et à faible coût (d’interaction et monétaire) pour l’utilisateur.

Pour fidéliser l’utilisateur, l’engagement doit être gradué. Il s’agit d’augmenter les niveaux d’engagement lors de visites ultérieures sur le site et introduire progressivement des fonctionnalités plus avancées pour les utilisateurs qui s’intéressent suffisamment au site web.

L’engagement tous azimuts ?

L’engagement utilisateur est en résumé une notion qui englobe la perception et l’imaginaire de la marque, sa communication, ses valeurs, et la qualité de l’interaction offerte sur ses différents points de contact. 

Il reste essentiel de garder à l’esprit que l’engagement utilisateur est un processus graduel. Établir une relation de confiance expérientielle (temps long) est un travail en plusieurs phases, qui commence par l’onboarding (temps court).  Il faut alors offrir à l’utilisateur des engagements qui correspondent à son degré de confiance dans l’organisation/marque, ainsi qu’à sa perception de la valeur des produits et services proposés.

L’a-t-on assez répété ? Attention  aux Dark Patterns ! Comme pour la rétention, l’engagement utilisateur doit prendre part à une stratégie globale, qui met l’utilisateur au centre de l’expérience. Non aux autoplays intrusifs, à l’exploitation déraisonnable des biais cognitifs ou du hook model de Nir Eyal !