Rétention utilisateur : la puissance de la récompense

Rétention utilisateur : la puissance de la récompense 2883 1533 Wedo studios


Rétention utilisateur : la puissance de la récompense

Attirer les utilisateurs, les retenir en leur proposant une expérience d’usage fluide, attractive et qui répond à leurs besoins, permettant ainsi de les fidéliser, tel est l’enjeu auquel doit faire face tout UX designer.

Au-delà des objectifs purement marketing, la rétention est une conséquence directe d’une expérience utilisateur·rice réussie. Il s’agit à la fois de répondre aux besoins de l’utilisateur, de venir à bout des pain points, et de le récompenser en s’appuyant sur ses biais cognitifs. Pour retenir l’utilisateur·rice (et surtout son attention), éviter les distractions est la clé. Une véritable économie de l’attention a émergé avec les réseaux sociaux et la production toujours croissante de contenus numériques et d’applications.

Un art dans lequel TikTok est passé maître, la plateforme a indiqué en 2022 que 35% de ses utilisateurs passent moins de temps à regarder la télévision ou du contenu vidéo depuis qu’ils utilisent l’application. Tik Tok ajoute même : “Nos utilisateurs sont connectés de manière unique à l’expérience TikTok, avec 46 % d’interactions avec du contenu sur TikTok sans distractions ni multi-écrans.”

Une boucle addictive définie par Nir Eyal et son Hook model en 2013. Restez avec nous pour la suite, votre curiosité sera récompensée !

Rétention  et cognition

Peut-on parler de rétention sans évoquer brièvement la mémoire ? La rétention s’appuie sur différents biais cognitifs de l’utilisateur·rice, mais aussi sur sa mémorisation et sa remémoration de ses expériences passées, dont celle,  initiale, de l’onboarding.

Dans la démarche de rétention utilisateur·rice, deux acceptions du terme se rencontrent alors : 

  • Du côté des designers, il s’agit de penser éléments de conception, des algorithmes ou des parcours visant à  “retenir” (maintenir) l’utilisateur·rice sur le produit, mais aussi à l’y faire revenir.
  • Du côté de l’utilisateur·rice, il s’agit de cognition : “retenir” (mémorisation et mémoire à court terme) les étapes-clé de son parcours et les différentes fonctionnalités, afin d’assimiler l’usage du produit, lors de la phase d’onboarding (découverte et prise en main d’un nouveau produit, service, fonctionnalité par l’utilisateur·rice). La cognition est le processus par lequel un organisme acquiert la conscience des évènements et objets de son environnement. A l’issue de cette phase de découverte, l’usage du produit doit à court terme, mener à la satisfaction de l’utilisateur·rice.

Hooked : la rétention par Nir Eyal

En 2013, l’auteur et conférencier Nir Eyal publie Hooked: How to Build Habit-Forming Products, un ouvrage où il décrit les techniques utilisées dans les domaines du jeu vidéo et de la publicité pour créer des habitudes d’usage addictives chez l’utilisateur·rice. Le Hook Model est né !

“Accrocher” l’utilisateur·rice, pour le fidéliser, c’est là toute la finalité du Hook Model. 

Si le modèle est utilisé par les réseaux sociaux et les dark patterns, il n’en reste pas moins intéressant à analyser. 

L’auteur souligne que contrairement à la publicité, la rétention et l’engagement utilisateur ne peuvent s’acheter, ils doivent donc être intégrés dès la conception du produit. Les récompenses jouent alors un rôle majeur dans la rétention. Nir Eyal identifie 4 étapes qui balisent le Hooked Model : 

Illustration hook model - Wedo Studios

Hook model de Nir Eyal in : Hooked: How to Build Habit-Forming Products

1. Trigger :

Le déclencheur est selon Eyal un évènement qui encourage quelqu’un à agir. Cela peut-être un déclencheur externe provenant de l’environnement, comme une sonnerie, un “ding”, une alerte quelconque incitant à l’action. Le déclencheur interne relèverait lui, du désir d’échapper à son état émotionnel (état inconfortable), nous retrouvons là les biais cognitifs de l’utilisateur·rice.

2. Action :

C’est un comportement guidé par l’anticipation d’une récompense. Ex : l’ouverture de l’application, le défilement de flux, le monitoring sur le tableau de bord, ou encore, la lecture d’une vidéo. Plus l’action est simple, plus l’utilisateur est susceptible de l’accomplir.

3. Reward :

La récompense en français, il s’agit de l’étape où l’utilisateur·rice obtient ce pour quoi il·elle utilise le produit/service/app, engendrant sa satisfaction. Très utilisée dans les applications de jeux, sous forme de points, ou de bonus à collecter (quête), la récompense peut prendre différentes formes, parfois empruntées aux codes de la gamification. Elle peut se matérialiser aussi à travers l’UX writing ou un coach virtuel, figuratif ou non, qui accompagne l’utilisateur·rice dans son parcours.

4. Investment :

L’utilisateur (s’)investit dans le produit, par un abonnement, un feedback, ou la collaboration comme par exemple sur l’application de navigation Waze, qui incite chaque utilisateur à signaler des évènements sur son trajet, rendant ainsi le produit meilleur la prochaine fois qu’il va l’utiliser.

Focus sur 

les récompenses

Ce modèle vous parait simple ? Nir Eyal y ajoute un ingrédient selon lui fondamental : la variabilité, explicitée dans les années 1950 par le psychologue BF Skinner dans son calendrier variable de récompenses. 

Ce constat s’appuie sur ce que Eyal appelle une “bizarrerie cognitive” : l’addiction à la récompense est plus forte lorsque cette dernière est intermittente, ou variable. Les utilisateurs, assoiffés de prévisibilité se trouvent confrontés à une variabilité qui les incite à la concentration, afin de ne pas manquer une potentielle récompense.

Cet état de concentration, voire de transe selon Eyal, est perçu par les cerveaux humains comme amusant, car il induit un état de recherche sans fin (le désir) boostant notre dopamine, ce neurotransmetteur communément appelé l’hormone du bonheur. C’est le principe de la progression graduée théorisée par Skinner. Une fois dans cet état, l’utilisateur·rice est moins susceptible d’accorder son attention à des distractions extérieures et optimise sa capacité d’apprentissage (nécessaire dans l’onboarding).

3 types de récompenses :

  • Les récompenses de la tribu : en tant que descendants de chasseurs-cueilleurs, notre cerveau est toujours en quête de récompenses qui nous font nous sentir acceptés, intégrés, importants, attirants, boostant un sentiment d’appartenance à la tribu. La validation sociale potentiellement générée (variable donc) à chaque tweet, publication ou interaction sur les RS, explique le succès des plateformes.
  • Les récompenses de la chasse : cette récompense joue sur notre besoin individuel d’acquérir des biens matériels de toutes sortes (nourriture, peaux, et mammouths en leur temps). La chasse aux produits (trésors) est un paramètre intégré dans les plateformes comme Vinted, Pinterest, Ebay, Etsy, les avis Google… c’est la chasse aux bonnes affaires et aux informations.
  • Les récompense de soi : elle nourrit notre satisfaction personnelle et s’appuie sur l’attrait pour de nouvelles stimulations sensorielles (comme les néons à Las Vegas). Cette récompense s’appuie aussi sur notre besoin de contrôler, de relever des défis, c’est pour cela que de nombreuses applications en tout genre promettent des résultats à l’issue d’un programme sur plusieurs semaines. Tout du long de cette durée interviennent calendriers, listes de tâches, validation d’étapes, exercices à heures fixes choisies par l’utilisateur, c’est tout un design du monitoring dans le temps qui est proposé à l’utilisateur, pour le retenir dans la durée.

Quelques exemples de déclencheurs UX (triggers)

  • Nécessité et besoin :  il s’agit d’un déclencheur de base, un argumentaire de vente simple : “voici ce dont vous avez besoin (produit, service,application) et voici comment l’acheter”. On retrouve ici la fameuse “promesse” qui est à la base du marketing : le bénéfice matériel que le vendeur propose à l’utilisateur à l’achat, puis à  l’usage de son produit.
  • Réciprocité (l’utilisateur reçoit quelque chose d’utile gratuitement) : assistance, consultation, essai routier, version de démonstration, histoire, manuel, recette, jeu, webinaire, vidéo, etc.
  • Storytelling et UX writing : le texte est un puissant déclencheur qui engage et encourage l’action.
  • Divertissement : l’un des déclencheurs les plus efficaces qui peut s’appuyer sur la gamification ou la ludification.
  • Les déclencheurs d’interface utilisateur, à travers le mouvement : l’animation, la gamification ou la vidéo, mais aussi tout élément dynamique : lignes, taches et formes de couleur, rythme, mise à l’échelle, progression, couleurs, luminosité, contraste, saturation.
  • Les sons :  alertes sonores ou mélodies.
  • La nouveauté : un nouvelle information, produit ou fonctionnalité, un produit attrayant conserve toujours un certain degré de nouveauté, de suspense et de variabilité).
  • La preuve sociale : la qualité d’un produit ou d’un service, attestée sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, documents et certificats, appel à l’autorité, avis d’utilisateurs, preuves photo et vidéo.
  • Rareté :  elle peut jouer sur le FOMO (Fear of Missing Out), et se matérialise par exemple dans des promotions, offres, récompenses à durée déterminée.
Screenshot récompense Duolingo - Rétention - Wedo Studios

Exemple de récompense par la gamification sur Duolingo, l’application d’apprentissage des langues. Les gemmes à collecter sur la version mobile permettent d’acheter différentes options.

La puissance de la personnalisation pour fidéliser l’utilisateur

Nombreuses sont les applications requérant de la data fournie par l’utilisateur avec la promesse d’une hyper personnalisation du produit et du service. La finalité ? proposer une offre sur mesure qui se rapprocherait au plus près des besoins de l’utilisateur. L’onboarding est généralement le moment privilégié pour cette collecte d’informations.

Construire un parcours de personnalisation fluide, élégant et facile à répondre, stimule la rétention. Il est alors important de communiquer sur le fonctionnement de la collecte de données et ses bénéfices, afin d’inciter les utilisateur·rice·s à renseigner leurs informations.

Screenshot personnalisation Balance - Rétention - Wedo studios
Screenshot personnalisation Flo- Rétention - Wedo studios

Parcours de personnalisation des applications Balance (méditation) et Flo  (suivi menstruel et de grossesse entre autres).

Le temps, pilier de la rétention

Autre point fort de la personnalisation : le suivi des progrès au fil du temps est un puissant outil de rétention qui aide les utilisateurs à créer des rituels à travers des habitudes, des récurrences et des rappels. L’utilisation de Calendar design matérialise le temps et la durée, permettant ainsi aux utilisateur·rice·s d’anticiper leurs efforts à venir pour atteindre leurs objectifs. Notons également une UX  writing encourageante afin que l’application soit considérée comme un accompagnement positif au jour le jour.

Exemple de Calendar design sur l’application de méditation Balance

Comment mesurer la rétention ?

Mesurer la rétention revient à évaluer la capacité des utilisateur•ice•s à revenir sur un produit, et à réutiliser dans la durée des services fournis. L’enjeu se situe donc autant du côté des nouveaux à attirer, que des des utilisateurs fidèles à préserver. Pour la mesure de la rétention, différents metrics peuvent être utilisés : 

  • Déterminer une période de mesure, puis effectuer le calcul suivant : ((Nbre total de clients à la fin de la période – Nbre total de nouveaux clients à la fin de la période) / Nbre total de clients au début de la période) x 100
  • Le nombre de nouveaux utilisateur·rice·s intégrés sur une période donnée.
  • Le pourcentage de visiteurs réguliers.
  • La rétention  totale : c’est le pourcentage d’utilisateurs revenant chaque jour dans un intervalle donné, que ce soit une semaine, un mois ou même un an, en fonction du type d’application.
  • La rétention classique : le nombre d’utilisateurs récurrents un jour spécifique après le premier jour. Si le jour spécifique tombe le 10e jour après l’installation et que l’utilisateur revient le jour 10, considérez-le comme des utilisateurs réguliers, qu’il ait utilisé l’application entre l’installation et le jour 9.
  • Le taux de désabonnement : plus il est faible plus les utilisateur·rice·s.

Le choix de ces variables dépend de l’entreprise et de ce qui est évalué : un support ou produit en particulier, de la définition d’un utilisateur régulier (quotidien ou non par exemple), des déclencheurs choisis et de la fréquence de leur utilisation. 

Pour être pertinent, le pourcentage de rétention devra être comparé bien entendu aux périodes précédentes, mais aussi au taux moyen dans le secteur ou l’industrie concernés. Selon Mixpanel, pour les produits du secteur des médias ou de la finance, un taux de rétention supérieur à 25% sur huit semaines est un objectif raisonnable. Un taux supérieur à 35% est à viser pour les industries SaaS et de commerce électronique.

La rétention pour créer des habitudes positives ?

Si Nir Eyal, explicite la puissance du système de récompenses pour créer de la rétention, il note que les entreprises technologiques, en créant de nouvelles habitudes d’usage se doivent de concevoir des produits alignés sur les intérêts de leurs utilisateur·ice·s. Mieux comprendre ce qui les poussent à agir, permettrait de nous aider collectivement à mieux contrôler nos comportements induits par la technologie.

Un vœu pieu ? La question reste en suspens lorsque l’on s’intéresse aux réseaux sociaux, et au plus influent d’entre eux TikTok, qui semble inspiré du Hook Model :  l’algorithme procède à une analyse poussée des habitudes de visionnage de l’utilisateur•rice afin de lui proposer en alternance (variabilité donc), des vidéos qui collent à ses goûts, mais aussi des vidéos différentes (récompense) qui produisent un effet de surprise, incitant au scrolling sans fin (quête). Une utilisation addictive signalée par les psychologues, notamment en ce qui concerne les utilisateur·rice·s les plus jeunes.