User-centered design, human-centered design et design for all :
se repérer dans les démarches de conception inclusives
L’UX, c’est l’expérience utilisateur·rice. C’est-à-dire l’expérience de celles et ceux qui utilisent directement un produit ou un service. On parle d’approche de conception user-centric lorsqu’on se concentre sur les besoins et attentes de cette catégorie de personnes.
Pourtant, un service ou un produit peut affecter des personnes et des espaces au-delà de son périmètre d’usage direct, c’est-à-dire au-delà de ses utilisateur·rices. Par exemple, Airbnb a beaucoup facilité les locations de courte durée, pour les loueur·se·s comme pour les voyageur·se·s. Mais l’impact sur le marché de l’immobilier dans certaines zones est conséquent, avec beaucoup d’aspects négatifs : hausse des loyers, indisponibilité des locations longue durée dans des métropoles denses, modifications du voisinage pour s’adapter aux besoins des touristes plutôt que des résident·e·s, etc.
Concevoir un service user-centric n’implique ainsi pas d’inclure les besoins du plus grand nombre, mais se limite aux utilisateur·rice·s. Pour mieux situer les démarches d’inclusion par rapport au ciblage des destinataires directs d’un service ou produit, on s’est penché sur la distinction entre user-centered design, human-centered design, et design for all.
1. User-centered design
La conception centrée utilisateur
La conception centrée utilisateur est un ensemble de méthodologies qui consiste à analyser et à tenir compte des besoins et attentes des utilisateur·rice·s finaux d’un produit ou d’un service, pendant tout le processus de conception. L’expression a été popularisée en 1986 par Don Norman, psychologue cognitiviste et ingénieur en ergonomie.
“La conception centrée utilisateur signifie travailler avec ses utilisateur·rice·s tout au long du projet.”
Don Norman
La conception centrée utilisateur fait appel à un processus itératif qui se découpe en trois étapes : la phase d’analyse, la phase de conception et la phase d’évaluation.
Les trois phases de la conception centrée utilisateur (user-centric ou user-centered design)
Le design user-centric se distingue par son fort ancrage dans le réel et dans le vécu des utilisateur⋅rice⋅s. Cette approche, qui nécessite une équipe pluridisciplinaire (designers, sociologues, ethnographes, développeur⋅se⋅s, psychologues), permet de comprendre les besoins des utilisateur⋅rice⋅s en contexte, et ainsi de limiter les biais que les designers peuvent avoir en raison de leur propre situation.
Une limitation de cette approche repose toutefois dans le fait qu’elle nécessite d’être capable d’identifier clairement les utilisateur⋅rice⋅s d’un service en amont du développement. Si certain⋅e⋅s d’entre elles⋅eux sont exclu⋅e⋅s du processus itératif, leurs besoins peuvent alors être négligés.
C’est souvent le cas des utilisateur⋅rice⋅s en situation de handicap, auxquel⋅le⋅s il est donc important de penser dès le début d’un projet. Pour ces derniers, le design centré utilisateur représente un atout important, dans la mesure où il invite à partir des besoins de tous les utilisateur⋅rice⋅s réel⋅le⋅s plutôt que de rendre accessibles des services pensés par et pour des utilisateur⋅rice⋅s valides.
2. Human-centered design
La conception centrée sur l’humain
Alors que la paternité du terme user-centered revient à Don Norman, notamment grâce au titre de son livre User Centered System Design, celui-ci préfère aujourd’hui utiliser l’expression human-centered design ou conception centrée sur l’humain.
Si les deux user-centered et human-centered sont souvent utilisés comme synonymes, Norman estime que la conception centrée sur l’humain ne place pas seulement l’utilisateur·rice au cœur du processus de conception mais prend en compte l’impact du produit ou service sur les êtres humains en général.
User-centered vs. human-centered
Nous avons déjà mentionné Airbnb mais de nombreux services, notamment ceux qui révolutionnent des secteurs et modèles économiques classiques, ne se contentent pas de disrupter un marché : ils bousculent tout un écosystème.
Ainsi, si l’arrivée non-réglementée des trottinettes électriques a permis à de nombreuses personnes d’avoir accès à un nouveau moyen de transport, elle a engendré de nombreux problèmes dans les espaces publics partagés : des accidents mais aussi des véhicules abandonnés sur les trottoirs et devenus des obstacles pénibles, voire dangereux pour des personnes à mobilités réduites, des personnes non-voyantes ou encore des poussettes.
La conception centrée sur l’humain propose donc de prendre en compte toutes les parties prenantes susceptibles d’interagir avec le produit. Il s’agit d’adopter une vision plus systémique du contexte dans lequel le produit ou le service sera amené à exister.
3. Design for all
La conception dite “universelle”
Cette approche, aussi appelée design universel (universal design), a été développée en 1997 par un groupe de designers, d’architectes, d’ingénieur·e·s et de chercheur·se·s dirigé par Ronald Mace, s’articule autour de 7 principes fondateurs :
1. Une utilisation équitable (Equitable use)
Le produit ou service doit être utilisable pour des personnes dans diverses conditions, physiques notamment (handicaps, mais aussi taille, corpulence, fatigue).
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- Il faut fournir les moyens d’utilisation du produit ou du service à tous les utilisateur·rice·s. Ces moyens doivent être autant que possible identiques (exemple : des accès physiques à un bâtiment uniquement en pente douce) ou équivalents (exemple : des escaliers systématiquement doublés d’un ascenseur).
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- Ne pas stigmatiser des utilisateur·rices (exemple : les signalétiques genrées binaires dans les toilettes).
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- Accorder la même importance aux enjeux d’intimité (exemple : avoir des toilettes aux normes PMR à tous les étages d’un bâtiment) et de sécurité pour tou·te·s (exemple : alarmes incendies adaptées à des personnes sourdes).
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- Rendre le produit ou service attractif pour tous les utilisateur·rices (exemple : utiliser des photos, emojis ou illustrations représentatives de divers profils et capacités physiques).
2. Une utilisation flexible (Flexibility in Use)
Le produit ou service accommode le plus de préférences et capacités possibles.
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- Donner le choix d’utilisation (exemple : proposer simultanément de lire ou d’écouter des contenus dans des lieux culturels).
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- Penser aux usages des droitiers et des gauchers (exemple : des ciseaux ambidextres).
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- Proposer une customisation pour adapter l’espace ou l’interface (exemple : choix du niveau de contraste, des tailles de typographies).
3. Une utilisation simple et intuitive (Simple and Intuitive Use)
La prise en main du produit est intuitive et rapide quelle que soit l’expertise de l’utilisateur·rice.
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- Éliminer toute complexité superflue (exemple : Un bouton d’urgence gros et rouge vif).
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- Ressembler autant que possible aux usages connus et attendus par l’utilisateur·rice (exemple : Mettre en rouge des informations manquantes dans un formulaire numérique).
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- Proposer le plus grand éventail possible de langages/moyens de communication (exemple : Les panneaux de signalisation, les modes d’emploi IKEA illustrés).
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- Hiérarchiser les informations par ordre de priorité (exemple : Dans les recherches d’itinéraires de courtes distances, indiquer le plus visiblement possible le temps de trajet).
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- Fournir des retours et indications pertinentes (exemple : Indiquer à quelle étape du parcours d’achat l’utilisateur·rice se situe).
4. Des informations perceptibles (Perceptible Information)
Les informations sont communiquées efficacement et visiblement aux utilisateur·rices, quelles que soient leurs capacités sensorielles.
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- Proposer différents modes de communication (exemple : Dans les aéroports ou les musées, on peut trouver des indications écrites, orales et des pictogrammes pour indiquer la même chose).
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- Mettre en avant les informations essentielles (exemple : taille d’un panneau indiquant les départs et arrivées dans une gare par rapport aux panneaux publicitaires).
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- Rendre le parcours utilisateur “navigable” dans les espaces physiques ou numériques et les concevoir de manière à ce qu’ils soient descriptibles (exemple : “Rendez-vous sous le panneau indicateur !” ou encore : “Le bouton orange en haut à droite !”).
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- Rendre l’utilisation compatible avec les devices d’accessibilité (exemple : lecteurs d’écran).
5. Une tolérance pour l’erreur (Tolerance for Error)
Le service ou produit minimise les conséquences des erreurs des utilisateur·rices.
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- Éliminer les éléments susceptibles d’induire en erreur (exemple : clarté des indications et de la hiérarchie des informations).
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- Indiquer clairement une situation d’erreur (exemple : indications en rouge sur les zones concernées).
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- Indiquer comment revenir en arrière ou réparer l’erreur (exemple : rediriger vers un autre endroit du parcours via un lien).
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- Dans le cas de services à fort enjeu (exemple : demande d’allocation), souligner le besoin de vigilance de l’utilisateur·rice (exemple : “Attention, vous ne pourrez plus revenir en arrière” ou “Présence d’une dernière case à cocher pour formaliser la validation de la démarche”).
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- Ne pas hésiter à fournir un récapitulatif avant validation (exemple : à la fin d’un parcours d’achat, le résumé du panier avant validation du paiement).
6. Un faible effort physique nécessaire (Low Physical Effort)
L’effort physique nécessaire à l’utilisation du produit ou service est réduit au maximum.
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- Permettre aux utilisateurs de conserver une position physique neutre (exemple : concevoir des portes ouvrables sans fournir d’efforts importants et sans multiplier les étapes menant à l’ouverture).
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- Penser le service ou produit dans les contextes physiques de divers utilisateur·rices (exemple : un parcours d’application mobile uniquement vocal pour une personne paralysée).
7. Taille et espace adéquats (Size and Space for Approach and Use)
Les dimensions sont adaptées à l’accès, la manipulation et l’utilisation du produit ou service sans discrmination de taille, posture ou mobilité des utilisateur·rices.
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- Fournir des mobiliers et espaces de circulation compatibles avec différents besoins (exemple : des paillaisses de chimie ou des tables à langer très hautes sont inaccessibles pour des personnes en fauteuil roulant).
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- Mettre les éléments essentiels d’un espace ou d’une interface bien en vue (exemple : bouton de secours suffisamment bas sur les murs pour être atteints en cas de chute).
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- Adapter le poids des éléments (exemple : les contenants des boissons des enfants en bas âge sont en plastique, non seulement pour éviter la casse, mais aussi pour qu’ils et elles puissent les tenir).
Ce qu’on retient
L’enjeu reste finalement une valeur fondatrice en conception : l’empathie.
Que le service ou produit créé concerne un large groupe de personnes ou non, l’important reste de se mettre à la place des utilisateur·rice·s. Facebook avait ainsi adopté les “2G Tuesdays” en 2015, des mardis où pendant une heure, l’application fonctionnait comme pour les utilisateur·rice·s n’ayant accès qu’à la 2G. Composer avec cet usage particulier a donné naissance aux versions “Lite” de l’interface, qui améliorent considérablement l’expérience des personnes concernées.
Pour une mise en service fluide, les innovations grand public ont besoin du soutien des politiques publiques, pour initier par exemple un dialogue avec les services de livraison et trouver une solution de transport dédiée, ou pour prévoir d’emblée des places consacrées aux trottinettes électriques.
Enfin, si cibler l’inclusion maximale est la meilleure pratique, il s’agit aussi d’accommoder les personnes ayant besoin du service ou produit. Un service à destination de personnes non-voyantes sera souvent inaccessible pour des personnes sourdes, et vice-versa. L’idéal est de fournir un service qui correspond aux besoins de ces deux groupes de personnes. Cependant, fournir une solution temporaire imparfaite augmente quand même l’accessibilité des un·e·s.
L’UX inclusive est nécessairement user-centric car elle prend en compte les besoins des utilisateur·rices. Par contre, les produits et services user-centric ne sont pas forcément inclusifs car ils se limitent aux besoins des utilisateur·rices finaux, sans forcément prendre en compte leurs impacts à plus grande échelle (non-utilisateur·rices évoluant dans les mêmes espaces, conséquences environnementales, etc).