Data-driven design : mesurer l’UX

Data-driven design : mesurer l’UX

Data-driven design : mesurer l’UX 2335 1654 Wedo studios

“That which is measured improves.
That which is measured and reported improves exponentially.”

Karl Pearsons

Mettre un chiffre sur l’expérience utilisateur, un tabou ?
Le design, ce n’est pas de l’art.

On ne conçoit pas en fonction d’un instinct, d’une intuition, d’une volonté du créateur ou de la créatrice, mais bien par rapport à des observations concrètes sur les besoins et attentes des personnes concernées par un produit, un service, un espace, une expérience.

Lorsqu’un produit ou un service est lancé, et qu’on est  en phase d’itération, en UX, on est comme tout le monde : on a besoin de données.

Pour concevoir déjà (nos produits, nos applis, nos services, nos expériences).

Mais aussi pour avoir un langage de communication commun avec d’autres interlocuteur·rice·s, un terrain où notre valeur ajoutée est traduite, où nous pouvons la montrer, la promouvoir et la faire comprendre.

Enfin, il s’agit d’un aspect business essentiel pour s’inscrire dans le long terme, suivre les évolutions (dans la consommation de nos produits et services, dans les parcours, les cycles de production, les comportements, les tendances, etc.) et identifier les changements, bref, pour pérenniser l’offre de l’organisation.

Or, si la démarche user-centric a fait du chemin au sein des organisations, de nombreux designers et experts UX tels que Ben Davidson (Google), Kate Moran (Nielsen Norman), ou Joshua Porter (Rocket Insights), partagent deux difficultés : porter la voix de l’utilisateur·rice en interne et montrer la valeur ajoutée de l’UX.

En effet, il demeure compliqué de faire valoir des initiatives, de justifier des volontés d’évolutions ou encore de mesurer les progrès de l’expérience client dans le temps sans données factuelles, particulièrement auprès des COMEX.

C’est l’ambition du data-driven design, une approche qui cherche à traduire la valeur UX en metrics pertinents et parlants pour toutes les strates des organisations, donc à fluidifier les échanges.

En fait, faire du data-driven design, c’est améliorer l’expérience collaborateur, celle des équipes UX comme des autres.

Concrètement, qu’est-ce que le data-driven design ?

“Data sciences inside of UX.”

Ben Davison

Le data-driven design est une démarche permettant de mesurer l’expérience client autour de KPIs précis.

Son intérêt est triple : 

  • une vision complète du parcours client
  • une mesure de l’expérience client harmonisée sur tous les projets de l’entreprise
  • une synthèse parlante et convaincante du travail des équipes UX, notamment auprès de la direction (potentiels à investir, actions à prioriser, impacts à corriger)

Souvent associé à la méthodologie HEART de Google ou au CX index de Forrester, le data-driven design peut revêtir plusieurs formes, et surtout se personnaliser en fonction et par les organisations qui l’utilisent : une start-up, une institution publique et un hôpital  n’ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes priorités.

L’expérience et la satisfaction utilisateur/client peuvent largement varier d’une organisation à l’autre, il n’y a pas de formule universelle. Au contraire, l’ajustement des variables aux besoins précis de l’organisation fait toute la richesse d’un outil comme le data-driven design.

Il est aussi essentiel de ne pas voir le data-driven design comme un simple set de données, la seule collecte de chiffres et de mesures. On peut faire l’analogie avec un design system : il ne se limite pas à une bibliothèque de composants, même si celle-ci est sa matière.

Pour le data-driven design, c’est pareil : il ne peut exister sans la data mais ne s’y limite pas, il s’agit plutôt de la conception d’un système de collecte et d’organisation de ces données.

Implémenter le data-driven design

Data-driven design : s’inspirer des bon·ne·s élèves

Nous avons étudié deux exemples d’application du data-driven design parmi les champions de la discipline, des références à étudier sans modération.

1. Google

Avec son approche en trois étapes (objectif, signal, metric) et la méthode HEART (Happiness, Engagement, Adoption, Retention, Task success), le géant de la tech optimise constamment ses différents produits et services.

L’objectif principal du moteur de recherche de Google est que les utilisateur·rice·s trouvent rapidement ce dont ils ou elles ont besoin.

Celui-ci peut-être mesuré par un signal (comme la période de temps écoulée avant de revenir sur Search après avoir cliqué sur un résultat) pour lequel on a créé un algorithme dédié (appelé Long Result Click chez Google), dont le résultat est le metric.

Mais ce même objectif peut être mesuré autrement, et surtout doit être complété. Ainsi, une recherche sur Google Search peut aboutir à un Featured Snippet, un zoom très précis sur un contenu qui doit répondre d’emblée et exactement à la question de l’utilisateur·rice. Dans ce cas, il ou elle ne cliquera même pas, sa requête étant déjà satisfaite. Ainsi, le non-clic peut être ici un signal de performance pertinent.

Dans le cas de la plateforme Android, l’objectif principal est que les utilisateur·rice·s continuent d’utiliser la plateforme. Pour cela, Google prend comme signal le pourcentage de téléphones connectés, via un algorithme prenant en compte ce pourcentage à un instant T, le même nombre 7 jours après, puis 21 jours après l’instant T. Le résultat est le metric.

La solution Cloud a pour but d’être utilisée par de plus en plus d’organisations. Cet objectif est mesuré par le nombre d’organisations en activité sur Cloud (le signal). Le metric est le résultat d’un algorithme calculant le nombre total d’organisations ayant rejoint Cloud depuis sa création.

Cette valeur permet en fait d’esquiver les incertitudes de l’activité journalière, dans la mesure où une absence d’activité (dans le cas de cette solution numérique) ne signifie pas que les organisations alternent quotidiennement avec une autre solution. Il vaut suivre leur fonctionnement pas pics d’activité.

Ce qu’on retient
  • La méthode “objectif, signal, metric, notamment pour choisir ses critères et commencer à modeler un système de mesure UX sur-mesure. Des signaux existants ou utilisés ailleurs ne sont pas forcément des signaux qui reflètent la performance de votre produit ou service. Il ne faut pas hésiter à utiliser des signaux qui vous parlent, même s’ils semblent peu communs : vous connaissez mieux que quiconque ce qui fait le succès de votre UX.
  • La méthode HEART, en commençant par seulement deux ou trois catégories. Encore une fois, l’UX dépend de multiples facteurs : il vaut mieux se concentrer sur les aspects importants pour les personnes concernées (dirigeants, équipes UX) plutôt que de chercher à être parfaitement exhaustif au risque de perdre beaucoup de temps et d’énergie.
  • Il peut y avoir plusieurs signaux en fonction d’un objectif, et plusieurs metrics pour un signal : il ne faut pas hésiter à adopter d’autres points de vue et à challenger les UX metrics. Il s’agit d’un processus itératif où il est bon d’expérimenter en introduisant de nouveaux metrics.

D’ailleurs, ces sites sont de plus en plus nombreux à encadrer et sécuriser les échanges de leurs utilisateurs, à l’instar de Leboncoin. La plateforme, qui proposait au départ une simple mise en relation par affichage du contact, a affiné et développé ses services. Aujourd’hui, afin de rassurer, le site encadre notamment les échanges, le paiement à distance et en face à face ainsi que la livraison des objets.

2. Domo

“S’appuyer sur les données pour argumenter lors des prises de décisions
et ne plus choisir les solutions de design selon les goûts
de la personne la mieux payée dans la pièce.”

Chad Heinrich

La démarche data-driven design de l’entreprise (spécialiste de la mise en forme des KPIs) fait partie de leur ADN.

Valider les performances des équipes UX auprès de la direction

Chad Heinrich (VP of UX) explique par exemple dans ce webinar que lorsque Domo est entré dans sa phase de scaling, l’équipe design représentait une part importante des effectifs, et que des questionnements sur la nécessité d’un tel nombre de collaborateur·rice·s sont apparus.

L’emploi des metrics a notamment démontré la contribution de chacun·e avec une liste de données précises, par exemple sur quels projets les designers travaillent et quels aspects des produits sont améliorés. Un digest mensuel est envoyé aux équipes UX et exécutives, sur lequel il appuie son argumentaire lors des décisions stratégiques.

Augmenter le niveau de collaboration à l’intérieur des équipes

Jason Longhurst (Creative Director of Product Story & UX Design Team Lead) trouve que l’implémentation des metrics à par ailleurs permis de sortir d’une approche en silos. Bien que les équipes collaborent naturellement entre elles, et à moins d’être staffé·e·s sur le projet concerné, il est impossible d’être au courant de tous les feedbacks récoltés auprès des utilisateur·rice·s ou de tous les changements effectués sur un produit ou un service.

Ceci est valable à l’intérieur des équipes design, mais aussi dans la collaboration entre product managers, dev leaders et UX designers. La production régulière d’un résumé des metrics d’UX facilite la compréhension.

Augmenter la qualité des produits

Tout simplement par la collecte rigoureuse de données multiples sur l’engagement des utilisateur·rice·s, les difficultés rencontrées, le temps passé, les préférences, etc. Toutes ces informations sont autant d’éléments précis à intégrer dans les briefs pour parfaire les prestations de l’entreprise.

Ce qu’on retient
  • L’importance de fédérer les équipes UX et exécutives autour d’un référentiel commun : c’est un travail qui peut être intimidant de prime abord, car assez chronophage et délicat. C’est pourquoi le data-driven design intervient en phase d’itération : le produit est lancé et l’organisation relativement structurée.
  • La mise en place d’une collaboration constante en interne : la systématisation de la communication autour du travail effectué et des résultats obtenus apporte non seulement de la transparence mais fait gagner du temps. Par ailleurs, les metrics permettent la visibilité de recoupements qui n’auraient jamais été fait s’ils n’avaient pas été côte à côte sur un dashboard.
  • L’intérêt d’apprendre à utiliser un langage business pour parler des contributions des équipes UX : le business, ça n’est pas notre métier. Mais ça le drive. Aussi, rendre accessible la lecture de nos résultats valorise et légitime irrévocablement notre travail.

Data-driven design : mode d’emploi

1. Choisir les données

Commencer (par un benchmark)

On parle ici d’un benchmark au sens de l’étalonnage, de la graduation, du repère. Il s’agit d’établir un point de comparaison. Au début du processus, il s’agit du point de départ de la mesure, puis devient son repère.

Comme l’indique Kate Moran dans ce podcast sur le retour sur investissement en UX, une bonne pratique de benchmark n’est pas ponctuelle mais continue.

Quand elle n’a jamais été réalisée, cette étape peut être décourageante. L’important est de se lancer : une fois un point de départ défini, on ajuste les critères du benchmark, sa réalisation et sa régularité.

Inclure à la fois des KPI design et des KPI business

Le plus difficile est de choisir les bons critères d’évaluation, le principal étant de réfléchir à la pertinence de long terme : quels metrics vous semble susceptibles d’avoir toujours du sens dans plusieurs années ? Quel signal est significatif par rapport aux objectifs de l’organisation  ?

Même s’il peut sembler risqué de se projeter autant, cette question permet déliminer les metrics au champ d’évaluation trop étroit, ceux liés à une nouvelle feature par exemple, même si elle semble très enthousiasmante et significative sur le moment.

Il s’agit donc vraiment de prendre du recul pour s’interroger sur le cœur de l’activité : quelle est la raison d’être du produit ou service ? De l’organisation ? Quels sont les objectifs ?

Le système doit ainsi impérativement comporter des metrics qui permettent de calculer le retour sur investissement, d’un point de vue business (exemples : nombre de vues des pages, nombre clics, recettes réalisées, nombre d’utilisateurs, durées des sessions).

Les données business n’intéressent pas forcément directement les équipes UX mais elles sont cruciales pour les directions dont les décisions ont un impact considérable sur les orientations prises par l’organisation, et donc sur l’UX.

Se méfier des vanity metrics

Dans cette conférence, Ben Davison prend l’exemple suivant : mesurer le nombre de nouveaux·elles utilisateur·rice·s sur un mois, pendant une campagne marketing réussie, donne un résultat flatteur. Par contre, elle peut cacher une baisse du nombre d’utilisateur·rice·s existant·e·s, non pris·e·s en compte par cette valeur.

Ben Davison parle aussi du cas des articles de presse en ligne : en se concentrant sur le nombre de clics obtenus par un type de titre, on pourrait penser que les articles concernés ont particulièrement de succès. Pourtant, ces articles sont peut-être finalement non lus au-delà ce clic. Ainsi pour une indication de résultat très positive peut complètement fausser la réelle appréciation de l’UX.

Il s’agit non pas d’éviter ces données, mais de les prendre pour ce qu’elles sont : des données partielles sur l’UX.

Mettre un chiffre sur l’expérience utilisateur, un tabou ?

Cette réflexion est assez clé pour aborder le data-driven design. En effet, alors même que l’on tend vers une approche centrée sur les utilisateur·trice·s, il paraît dépersonnalisant de traduire leurs expériences en chiffres.

Pour Kate Moran, il s’agit moins de mettre un chiffre sur l’expérience entière, seulement sur certains de ses aspects.

Ainsi, les UX metrics, ce sont vraiment les metrics qui répondent à nos questions pratiques importantes : combien de temps mettent les utilisateur·rice·s à réaliser cette tâche ? Quels aspects du parcours semblent particulièrement fluides ou au contraire présenter des frictions ? Quel pourcentage d’utilisateur·rice·s recommanderaient votre produit ou service ?

Par ailleurs, si les équipes UX ne fournissent pas elles-mêmes des metrics, d’autres valeurs moins adaptées seront choisies à un moment ou à un autre pour mesurer leurs résultats.

2. Le cadre de la data collection

Systématisation via un outil ou création d’un service dédié : plusieurs voies sont possibles. Ce qui est sûr, c’est que la récolte des données doit être pleinement intégrée dans le fonctionnement de l’organisation.

Il faut que des personnes en soient officiellement responsables, aient le temps, les accès et les outils nécessaires pour la mettre en place.

Pour commencer, les décisions à prendre sont notamment : le rythme de collecte, la nature des données collectées (et des algorithmes ou outils si besoin), la régularité des analyses des data sets.

3. Le format de restitution des données

Le dashboard est encore le format qui convient le mieux à l’organisation des données collectées. Il permet de hiérarchiser, de structurer et de rendre bien visibles les éléments d’intérêt pour les interlocuteur·rice·s. Il ne faut pas hésiter à faire des rendus “à tiroirs” pour différents usages et niveaux de lecture.

Un dashboard est un objet comme un autre, pour améliorer l’UX des personnes à qui vous vous adressez, posez-vous la question de ce qui les intéresse spécifiquement, et de la présentation qui facilite leurs analyses.

N’hésitez pas à faire plusieurs versions. Par exemple, on peut avoir une version overview avec 5 à 10 metrics seulement, permettant d’avoir une idée de score global, à destination de tous les collaborateur·trice·s et une version plus dense, avec des tableaux détaillant les relevés de metrics.

Le format est bien entendu évolutif mais il est important de penser les lignes directrices dans la durée, cela facilitera la navigation et la recherche des données dans le futur, pour faire des rétrospectives et des comparaisons par exemple.

4. Pérenniser le système

Intégrer pleinement le data-driven design nécessite un important engagement de départ sur la systématisation de la récolte des données et de leurs analyses. La quantité et la nature des données peuvent évoluer, ainsi que la régularité de l’exercice de collecte, d’organisation des données et d’analyse.

Par contre, sans discipline sur la nécessité d’entretenir et de répéter constamment la démarche, elle ne peut pas devenir l’outil d’amélioration escompté.

Pour qu’il soit pérenne, le data-driven design doit également pouvoir évoluer : il s’agit de remettre en question les choix des mesures à regarder, les méthodes de relevés, de challenger leur pertinence dans le temps pour rester au plus près de l’instant T de l’expérience des utilisateur·rice·s.

La méthode Wedo :
5 étapes pour adopter le data-driven design dans votre organisation

Atelier de co-construction & choix de la North Star Metric

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La constitution d’un score UX metrics sur 100

Croisement des UX metrics avec les verbatims clients

Création du CX score global