Atomic research : notre retour d’expérience

Atomic research : notre retour d’expérience

Atomic research : notre retour d’expérience 2290 1397 Wedo studios

Ces temps-ci, chez Wedo studios, on s’est intéressé à l’atomic research, le système de gestion des connaissances de la recherche UX théorisé par Tomer Sharon et Daniel Pidcock.

En gros, l’atomic research, c’est une approche de la recherche qui redéfinit les unités de base de la connaissance UX en “atomes” (les “nuggets”). L’idée est de déstructurer le matériau brut récolté lors d’une recherche (étude, test utilisateur, questionnaire) afin d’avoir à la fois une vision d’ensemble et une vision granulaire des données.

L’atomic research est relativement nouvelle : il y a peu de recul sur le sujet et les retours d’expérience sont rares. Si vous n’êtes pas encore familier avec cette méthode, je vous recommande notre article dédié avant de poursuivre votre lecture de ce retour d’expérience.


20 000 lieues sous les nuggets
Notre retour d’expérience sur l’atomic research

par Timothée Mourier, UX researcher chez Wedo studios

Tests utilisateurs d’une plateforme, étude exploratoire sur les typologies de collaborateurs en magasin : en tant qu’UX researcher chez Wedo studios, j’ai expérimenté l’atomic research sur plusieurs projets.

Et si je ne nie pas “l’infinie puissance” préconisée par Daniel Pidcock, je trouve qu’elle est à nuancer. En tout cas, elle est conditionnelle, car avec l’atomic research, on peut facilement s’y perdre. Il y a beaucoup de données, une multitude de paramètres à prendre en compte, et une tolérance zéro pour le mauvais étiquetage.

Du coup, j’ai voulu partager mon retour d’expérience, et je suis très preneur des vôtres !

D’abord, ma check-list : les projets auxquels j’ai participé m’ont permis de repérer 4 grands points de vigilance qui m’évitent de m’enliser et de perdre du temps.

1. L’atomic research, ça peut être un tableau excel
Le format

Quand j’ai commencé, j’ai regardé les solutions comme Airtable, Dovetail ou Glean.ly pour classer mes nuggets. En fait, il n’est pas nécessaire de se former à un nouvel outil : tout logiciel de catégorisation des données suffit, comme Excel ou Notion.

Par contre, je pense sincèrement que le développement de formats visuels de repository va considérablement démocratiser l’atomic research en améliorant le confort de navigation de ces bases de données très denses.

Le repository peut rapidement prendre la forme d’un tableau tentaculaire. Personnellement, je suis habitué à des outils visuels comme Miro. A côté, une infinie série de lignes difficilement lisibles et navigables, ça m’a un peu découragé.

Pour m’en sortir, j’ai mis en place un système d’échelles. L’idée est d’avoir à la fois la possibilité d’une vision d’ensemble (plutôt macro) et d’un zoom sur les détails (plutôt micro). Dans un tableau, cela se traduit par exemple par des codes couleurs ou des catégories larges (étiquettes de sections et de sous-sections) ordonnables en un clique de classement.

Aujourd’hui je serais curieux de tester un format plus visuel de repository, avec une navigation plus intuitive pour déduire les insights puis les recommandations. En tout cas, le choix de l’outil est crucial. Et il peut varier en fonction de la nature de l’organisation et des projets.

Aperçu d'un repository : un tableau ou les colonnes permettent de classer les étiquettes de chaque donnée

Le repository est la base de données globales
1 ligne = 1 nugget

2. “Welcome to my repository
L’onboarding

Autre enjeu de taille : l’onboarding. Une recherche UX se fait rarement seul·e : il y a les client·e·s, les collaborateur·rice·s, les intervenant·e·s divers·e·s qui sont susceptibles de participer au projet, et pas forcément depuis le début.

Or, pour une personne extérieure ou nouvelle venue dans la recherche, le repository ne parle pas forcément de lui-même. Un résumé de quelques slides sera beaucoup plus explicite. Et un support d’explication de la nomenclature devient indispensable.

Sinon, s’approprier les informations rapidement est impossible, alors que la rapidité est parfois essentielle pour un onboarding. Pour l’heure, il me paraît donc impossible de se reposer uniquement sur le repository pour donner une overview claire de la recherche et du fonctionnement du projet concerné.

3. Do you speak atomic?
La nomenclature

En atomic research, les choix de nomenclature peuvent devenir un vrai casse-tête. En tant qu’UX researcher, je ne peux pas forcément anticiper toutes les grandes catégories qui serviront à classer mes nuggets.

Tout simplement parce que ceux-ci naissent de l’accumulation des données, et souvent au fur et à mesure du cheminement de ma recherche : on ne peut pas classer avant d’avoir classé.

La nomenclature ne doit pas être enfermante. Elle doit prévoir que ces grands axes vont se dégager sans m’obliger à ré-étiqueter tous les nuggets depuis le début.

La deuxième difficulté réside tout simplement dans le respect de la nomenclature. Sans une conformité totale de celle-ci, je suis obligé de procéder à une vérification constante de la justesse des tags de catégorisation. C’est une tâche sans fin, et qui devient impossible passé un certain nombre de participant·e·s.

Lorsque c’est possible, je recommande d’utiliser des codes visuels qui se passent de l’exactitude des appellations. Ça ne garantit pas l’exactitude, mais ça compartimente un peu. Cela permet aussi de limiter les difficultés liées aux différentes langues lors de projets internationaux.

De toute manière, l’atomic research ne peut être envisagée que dans un cadre très rigoureux. Mis en place dans ces conditions, l’atomic research est un véritable atout pour naviguer dans une large base de données.

4. Gérer les électrons libres
Le hors-sujet

C’est un peu le syndrome du “mais si jamais j’en avais besoin plus tard ?” : prendre les décisions de tri des nuggets “hors-sujet” (ne présentant pas du tout d’intérêt, ou pas un intérêt prononcé pour la recherche en cours) peut être ardu.

Pour moi, la raison d’être de l’atomic research c’est avant tout de permettre de naviguer de très grandes bases de données. Me débarrasser de certaines données récoltées, même hors-sujet, paraît contre-intuitif : comment savoir quels nuggets seront intéressants dans le futur, ou en vue des prochaines sessions ? Comment les catégoriser ? Comment les ré-exploiter ?

Personnellement, je pense surtout qu’on apprend à répondre à ces questions avec la pratique. Cela nécessite un travail minutieux de relecture des nuggets, étude après étude, surtout si les thèmes de recherche sont différents.

Si ce travail est fastidieux, je pense qu’il peut faire de l’atomic research un outil puissant pour des sessions de tests utilisateurs sur un même produit, une homepage ou un tunnel d’achat par exemple.

Dans le doute, on peut aussi choisir d’avoir une catégorie “hors-sujet” un peu large avec des tags très descriptifs.

Une fois ce cadre assuré, l’atomic research amène une réelle flexibilité dans l’analyse, notamment dans l’approche des détails. Si l’aventure vous tente, voici une liste de 7 questions à vous poser avant de vous lancer.

7 questions à se poser avant de se lancer dans l’atomic research

1. Faut-il intégrer les données passées dans le repository ?

Ou bien est-il davantage pertinent de démarrer de zéro ? Il est essentiel de s’interroger sur la pertinence des connaissances déjà produites et accessibles, ainsi que sur ce qu’implique  leur intégration dans la base de données.

Si les ajouter est trop chronophage, la démarche est contre-productive en plus d’être laborieuse.

schéma montrant des données anciennes en vrac et des données classées dans un repository

Cela reste un point de vigilance une fois l’atomic research implémentée : il ne s’agit pas de rendre le repository illisible par une profusion indigeste de données dépassées. Déterminer l’obsolescence de ces données peut cependant aussi s’avérer complexe.

2. Un repository est-il nécessaire au sein d’une petite structure ?

L’optimisation des process de production et d’archivage des connaissances, ainsi que leur accessibilité par tous les collaborateur·rice·s sont des éléments-clés d’une organisation, quelle que soit sa taille. Cela est particulièrement vrai pour les organismes de recherche.

schéma montrant la différence du volume des recherches entre une grande et une petite structure

Cependant, les plus petites structures, qui effectuent par conséquent moins de recherche, ne rencontrent pas forcément les quatre problèmes évoqués plus haut (éparpillement, oubli, perte de temps, opacité).

Le gain apporté par l’atomic research n’est dans ce cas pas suffisant pour en justifier sa mise en place. Celle-ci peut au contraire s’avérer trop chronophage et énergivore pour être positive.

L’atomic research semble donc être plus adaptée à des organisations de grande envergure, ou traitant des volumes de données conséquents.

3. Quels projets sont adaptés à l’atomic research ?

Projets itératifs, études ethnographiques, études ponctuelles, questionnaires, entretiens, tests utilisateurs… Tous les projets de recherche donnent lieu à de la production de connaissances. Cependant, l’organiser dans un système d’atomic research n’est pas toujours nécessaire.

La temporalité des projets et leurs natures déterminent la pertinence de la mise en place d’un repository.

Deux impératifs de calendrier différents

Il est toujours important de s’interroger sur les bénéfices de l’atomic research dans le contexte de son organisation, mais aussi de son projet, plutôt que de l’implémenter à tout prix.

4. Quelle nomenclature pour mon système ?

La catégorisation des éléments (nuggets, insights, etc.) est absolument cruciale. Il ne s’agit pas d’une question secondaire : ceux-ci doivent être taggés d’une façon appropriée pour être exploitables.

les étiquettes des données

La mise en place de l’atomic research signifie donc une nomenclature commune, compréhensible par tout le monde, apprise et respectée de manière collective. Le choix des appellations est extrêmement important. Il faut également désigner une ou plusieurs personnes référentes pour être garantes de cette harmonisation.

Si la catégorisation commune ne peut être envisagée par manque de temps ou parce que faire respecter la nomenclature est trop compliqué, il vaut mieux ne pas envisager de repository. Le risque serait en effet de former un amas impraticable d’informations certes nombreuses mais inexploitables pour ses usagers.

5. Quelle catégorisation sur le long terme ?

La pertinence des nuggets varie selon leur âge. Des feedbacks sur une ancienne version d’application sont par exemple obsolètes.

pertinence des données selon le temps qui passe

Il est important d’anticiper cet aspect et de mettre en place une méthodologie qui permettent de les trier selon ce critère.

6. Comment distinguer le hors-sujet du hors-cadre ?

Les nuggets hors sujet sont aussi collectés dans le repository. Ils agrémentent la base de données mais peuvent aussi l’encombrer s’ils s’avèrent inutiles. Par exemple, certaines réponses qualitatives très personnelles de participant·e·s dans des situations uniques n’auront pas forcément de valeur pour l’entreprise pour la compréhension globale des usagers ciblés.

hors sujet

7. Comment donner accès au client ?

Il y a plusieurs manières de procéder et pas de règles établies. L’objectif principal est de gagner de la valeur en collectant ces données.

partager ses données avec les clients

Si nous avons plusieurs études sur différents produits d’un même client, il faut s’interroger sur le périmètre des informations partageables avec lui, et si ce périmètre se limite à ce client. Il s’agit de s’inscrire dans une réflexion générale sur l’exploitation des données, tout en considérant les aspects légaux et éthiques du problème.

Alors, l’atomic research est-elle vraiment “infiniment puissante” ?

Pour moi, l’atomic research ne peut être envisagée que sous des conditions spécifiques : le contexte compte énormément dans son succès. Elle ne révèle sa puissance que dans ce cadre, qui peut être très compliqué à mettre en place et à maintenir.

Je pense qu’un repository est vraiment réussi lorsque :

  • son onboarding est rapide et intuitif
  • son format permet une navigation confortable
  • sa nomenclature est facilement assimilable
  • sa structure est évolutive

Je pense qu’une fois la méthode maîtrisée, l’atomic research est un outil incomparable pour mettre en exergue des liens inédits entre des données UX et en tirer de nouveaux insights. Je continue de l’étudier et je vous donne rendez-vous dans quelques mois pour un second REX sur le sujet, le temps d’expérimenter davantage.